Le « Zoulou blanc » Johnny Clegg s'est éteint à l'âge de 66 ans

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Le chanteur et danseur sud-africain Johnny Clegg est décédé mardi soir à Johannesbourg, des suites d’une longue maladie. Il avait 66 ans. Retour sur la vie d’un artiste engagé.

Les plus jeunes ignorent probablement son nom et l’influence qu’il a pu avoir à une certaine époque, autre temps, autre mœurs ! Qu’importe !

Une chose est certaine, la musique et l’Afrique du Sud viennent de perdre l’un de leurs plus fidèles serviteurs, l’un de ceux qui aura, par son art, contribué à faire perdurer le rêve d’une nation sud-africaine unie malgré ses différences et ses profondes blessures, héritées d’un passé douloureux.

Toute sa vie, Johnny Clegg aura œuvré pour le rapprochement des peuples et des cultures. Une volonté de partage et de communion incompatible avec le régime ségrégationniste de l’apartheid, qui a sévit dans son pays de 1948 à 1994 et contre lequel il va s’engager dès le plus jeune âge.

Une conviction intime symbolisée par la chanson emblématique « Asimbonanga », véritable succès planétaire en 1988.

Bien sûr, résumer sa carrière à un seul titre serait réducteur et injuste au regard de son talent mais comment pourrait-il en être autrement, tant celui que l’on surnommait le « zoulou blanc » restera à jamais associé à ce refrain reconnaissable entre mille et dédié à Nelson Mandela, décédé en 2013.

Le guitariste blanc qui joue de la musique noire

Né près de Manchester (Angleterre) en 1953, d’un père britannique – qu’il ne connaîtra qu’à l’âge adulte - et d’une mère Zimbabwéenne d’origine lituano-polonaise, Jonathan Paul Clegg (de son vrai nom) arrive en Afrique du Sud en 1960.

Il est très tôt initié aux cultures locales par son beau-père journaliste et amoureux du continent africain. Ce dernier, véritable figure paternelle, aura, malgré son abandon soudain du foyer familial quelques années plus tard, une influence considérable sur la pensée du petit Johnny.

Après avoir vécu un temps en Zambie, il s'installe définitivement avec sa mère à Johannesbourg. C’est à l’âge de 15 ans qu’il découvre la guitare. Très vite, il est attiré par la culture zoulou qu'il découvre par hasard lors d'une représentation de danse traditionnelle. Ce sera pour lui une révélation !

L'énergie et la puissance dégagée par les chorégraphies le fascinent. Il se met alors à apprendre cette danse si particulière, reproduit chaque geste au contact de ses nouveaux amis zoulous et devient bientôt un des « leurs ». 

Devenu un véritable danseur respecté par ses pairs, il se produit dans plusieurs spectacles aux côtés de troupes zoulous durant lesquels il est, malgré lui, l'attraction en raison de sa couleur de peau.

Toujours autant fasciné par cette culture qu'il a désormais adoptée, il décide d'apprendre la musique zoulou à laquelle il va être initié par un certain Mntonganazo « Charlie » Mzila, un musicien de rue noir qui jouait non loin de chez lui.

Pendant deux ans, Johnny l’accompagne sur des scènes plus ou moins clandestines, bravant les lois ségrégationnistes qui limitent certains secteurs aux populations noire et blanche.

C’est à cette même époque en 1969, alors qu’il se forge petit à petit une réputation de musicien touche-à-tout, qu’il fait la connaissance de Sipho Mchunu, un guitariste sud-africain noir. Pour la petite histoire, c'est à l'initiative de ce dernier, curieux à l'idée de connaître celui que l'on commence déjà à surnommer le « zoulou blanc », que la rencontre a lieu. C'est un véritable coup de foudre amical et artistique, un événement qui va s’avérer déterminant.

Devenus amis, les deux compères se lancent alors dans un duo inimaginable en plein apartheid, faisant fi des convenances et des interdits de l’époque. Leur association provoque bien vite des remous tant sur la scène musicale que dans la sphère publique et politique.

Après un premier opus en 1976, le duo choisit pour nom de scène Juluka (« sueur » en zoulou) et sort en 1979 son premier véritable album, intitulé « Universal Men », qui s'attirera les foudres du gouvernement, malgré un gros succès critique. Présent sur cet album, le single « Africa » annonce déjà ce qui fera le succès de l'artiste : des paroles engagées sur une musique pop très influencée par les rythmes africains.

C’est alors le temps de la censure, des interdictions de concerts et des arrestations abusives qui vont contraindre les deux musiciens à déserter les salles traditionnelles pour se produire dans des universités, des églises ou encore des foyers de migrants.

Le duo sortira ensuite trois autres albums qui lui apporteront un succès national puis international, avec notamment des titres phares tels que « Impi » (1981) ou encore « Scatterlings of Africa » (1982), avant de se séparer en 1985.

Un symbole de la lutte contre l'apartheid

Johnny Clegg décide alors de fonder un nouveau groupe qu’il nomme Savuka, dont fera partie le percussionniste Dudu Zulu, qui sera tué lors d’émeutes raciales en 1992.

Sorti en 1987, le premier album de Savuka, intitulé « This world child » va connaître un énorme succès international avec 2 millions d’exemplaires vendus dans le monde. Le titre « Asimbonanga », dédié à Nelson Mandela (emprisonné à l’époque sur l’île de Robben Island), devient alors un véritable hymne à la résistance contre l’apartheid.

D’abord interdite par le régime, la chanson, qui demeure encore à ce jour son tube planétaire le plus connu, érige Johnny Clegg au rang de symbole de la lutte contre la ségrégation raciale en Afrique du Sud.

Devenue mythique, celle-ci restera à jamais associée aux deux hommes qui finiront par la chanter ensemble, à l’occasion d’un duo improvisé inoubliable lors d’un concert de Clegg à Francfort, en 1997.

Alors qu’il interprétait son plus célèbre titre, le chanteur avait en effet eu la surprise de voir débarquer sur scène Nelson Mandela « himself », devenu entretemps président de la République d’Afrique du Sud, après sa libération en 1990.

Johnny Clegg confiera des années plus tard que ce moment magique n’était pas prévu et qu’il n’avait pas été tenu au courant de la venue de celui qui était devenu au fil des années son ami.

Sa carrière se poursuivra au-delà des années 2000 et 2010 avec la sortie de quatre nouveaux albums entre 2002 et 2018.

Atteint d’un cancer du Pancréas en 2015, il avait décidé d’entamer dans la foulée une tournée d’adieu qu’il honorera jusqu’à son terme en 2018, avant que la maladie ne l’emporte finalement à l’âge de 66 ans.

Sa disparition a provoqué une vague d’hommages dans son pays, à commencer par celui du président Cyril Ramaphosa qui a salué « une icône de la cohésion sociale et de l’antiracisme ».

Des mots qui le résument à merveille !


Au sujet de l'auteur : Mathieu D'Hondt

Évoluant dans la presse web depuis l’époque où celle-ci n’en était encore qu’à ses balbutiements, Mathieu est un journaliste autodidacte et l’un de nos principaux rédacteurs. Naviguant entre les news généralistes et les contenus plus décalés, sa plume s’efforce d’innover dans la forme sans jamais sacrifier le fond. Au-delà de l’actualité, son travail s’intéresse autant à l’histoire qu’aux questions environnementales et témoigne d’une certaine sensibilité à la cause animale.